Cher Compagnon,
J'ai relevé dans ton compte rendu de réunion une interrogation sur le sens de mon engagement politique. Quelques uns des participants ont souhaité être assurés qu'il n'est pas acte de vengeance.
Ceux qui me connaissent, ou qui pourraient se livrer à de la recherche pour mieux me connaître, savent que je ne suis pas homme à consacrer mon temps et mes ressources à des actions de vengeance.
En outre une vengeance contre qui ? Contre quoi? Reprocherai-je à Macky Sall de m'avoir fait Premier ministre pendant 17 mois? Je suis fervent croyant, et lui dois donc reconnaissance pour ce choix porté sur ma personne en avril 2012. Je l'ai dit. Je l'ai écrit dans un ouvrage (« Servir »).
J'ai servi toute ma carrière durant comme directeur général de banques, et donc révocable ad nutum. J'ai par conséquent eu le temps d'intégrer l’incertitude de la durée des mandats qui m’étaient confiés, et la certitude de pouvoir être remercié à tout moment, et cela sans explications ni justifications.
J'ai intégré cette certitude dans mes fonctions de Premier ministre dès le premier jour. Et c'est pour cette raison que, persuadé de ne pouvoir durer dans ces fonctions en raison de mon profil atypique (seul Premier ministre à n’avoir été ni politicien ni fonctionnaire), j'y ai été un homme pressé, soucieux d'avancer et de faire avancer le plus rapidement possible.
J’avais cette fois accepté la fonction pour aider à la réalisation d’un programme auquel je croyais, mais comme habituellement sans l’avoir cherchée. La quitter n’a rien enlevé à ma carrière, bien au contraire. Alors où se trouverait le tort subi que je chercherais à réparer par de la méchanceté ?
Ayant quitté les fonctions de Premier ministre, je me suis consacré à la rédaction d'un ouvrage. Sa lecture en édifiera plus d'un sur mon souci ou non, à ce moment là, de m'inscrire dans une logique de vengeance ou pas.
Ayant satisfait à cette exigence pour l'histoire, j'ai ensuite eu la préoccupation de continuer d'aider modestement Macky Sall dans sa conduite des affaires publiques en créant (octobre 2014) avec d'autres le Club de réflexion "Travail et Vertu", et seulement après l’en avoir informé. Nous avons mis entre ses mains nos productions pour lui fournir des conseils gratuits sur l'élaboration et la définition de stratégies sectorielles.
Nous avons conservé les meilleurs rapports du monde, car lui également s’est soucié de m’aider dans mon retour aux affaires. C'est seulement en début 2016, après son renoncement à l'engagement de limiter son mandat à 5 ans, mais surtout suite à sa décision d'organiser un referendum inutile que la rupture s'est produite. Elle fut d’ailleurs d'abord due à la virulence avec laquelle lui et son camp ont réagi aux conseils que je donnais (voir mon texte sur la question).
Le saut vers la politique ne s'est pourtant pas fait immédiatement. Poussé par de nombreux amis et proches, il a fallu subir les réticences familiales et vaincre mes hésitations, sans doute ma peur de sauter dans une mare aux crocodiles. Mais des faits graves tels l'indemnisation de Bictogo, et des détails sur la manière dont le pétrole du Sénégal est confié à des voyous mais copains de ceux qui nous dirigent, m'ont fait faire le saut.
Il n'y a donc pas vengeance. Il y a refus de se taire alors que l'on sait. Il y a engagement nécessaire malgré mon âge, mon inexpérience politique, et les risques énormes que je prends jusque dans ma vie de famille.
Je subis par contre la vengeance de ceux qui retiennent mon engagement d’opposant comme une trahison, et utilisent la presse et la justice pour ce faire. C'est la conception qu'ils ont de la démocratie et de l'opposition politique. Cette dernière se soumet ou on l'écrase.
Mes ambitions ne sont pas personnelles. Il est urgent et nécessaire de restaurer la République et la démocratie au Sénégal. Là se trouve mon combat et mon refus de complicité.
L’ACT ouvre une voie faite de "politique autrement", les jeunes après nous devront très vite en hériter.
« Celui qui ne sait pas est un ignorant. Celui qui sait et qui se tait est un criminel. » (Bertolt Brecht)
Bien cordialement
Abdoul Mbaye
Flashinfos.net