Théo, Dakar le 10/10/2016
Je ne suis pas riche, je ne suis pas célèbre, je ne suis pas important. Mais pour toi mon fils je me dois de l’être : un guide, un modèle, malgré les entourloupes et les fourberies qui m’ont permis de t’élever. Ne gardes pas en mémoire ce visage hideux du vieux mourant, ne te souviens surtout pas de mon foutu caractère. Il ne te reste qu’à me regarder avec les oreilles et à m’écouter te parler de la vie avec tes yeux et tes neurones.
Je n’ai qu’un patrimoine à te laisser en héritage. Rien à voir avec ces comptes bancaires tellement bourrés au point d’être exemptés d’agios ici au Sénégal, encore moins ceux listés par les Panama Papers. Juste une sagesse que j’ai tirée de la vie et des cantiques apaisants des anges de la mort de plus en plus perceptibles de mon lit de mourant.
Rien que des mots alignés qui ennuieraient tes amis. Je n’ai plus que quelques mois à vivre. Douze voire vingt quatre tout au plus. Je t’écrirai tous les lundis soirs si la mort n’est pas trop pressée et si la maladie m’accorde une once de gratitude. Je dois t’avouer que les métastases se généralisent. Ce foutu cancer dont je souffre m’est apparu il ya quelques années et les symptômes avant coureurs ressemblaient aux signes que mon pays dégage aujourd’hui en ce moment : Déliquescence des muscles, irritabilité, manque de lucidité dans la prise de décision, manque d’appétit malgré les mets qui semblent plus que délicieux, (un peu à l’image de ces taux de croissance actuels de mon pays). J’extrapolais toujours mon dynamisme, juste pour rassurer la famille (Comme le font nos gouvernants pour rassurer le peuple). Je compte sur ta génération pour être meilleurs médecins pour le Sénégal, que ne le sont mes bourreaux, qui m’inoculent chaque vendredi ces saloperies de produits chimiothérapiques.
Je n’ai pas la prétention de t’écrire l’histoire contemporaine de ton pays. Ton oncle me dit qu’il aurait fallu que je sois historien. Pour une fois depuis ma prise de conscience de mon déni, je suis d’accord avec lui car désormais, je refuse désormais de me mentir et à vous aussi.
Parler de son pays à son fils ne devrait pas nécessiter de qualification intellectuelle, encore moins de reconnaissance académique .Mon histoire, Théo, comme je te disais, ressemble à plus d’un titre à celle du Sénégal. Mais je ne souhaite pas que mon pays connaisse la phase terminale de la maladie.
Je commencerai mon monologue, par te conter la théorie de Koralie Livia Lamon, une grande spécialiste des fourmis. Ne sois pas offusqué de « mon manque de démocratie », le droit à la parole te reviendra bientôt tout comme mes dettes économiques.
Oui Théo : Koralie disait que l'une des particularités des fourmis, était leur altruisme immensément élevé, au point de sacrifier son existence entière à sa colonie, à la survie de sa société. Pour elle la légitimité n’a pas de sens. Elle le fait, parce que simplement elle est prédestinée à le faire et basta ! Il n'y a pas d'autre alternative possible. Depuis sa naissance, jusqu'à sa mort, son existence est totalement sous contrôle, les principes du parjure, du calcul, de l’opportunisme ou de la tricherie lui sont totalement inconnus. Elle n’écrasera pas son vis-à-vis, pour paraitre, encore moins calomnier l’autre pour exister, car elle comprend mieux que nous les humains que ce serait agir contre elle-même. Je t’étonne peut-être mais pour faire court : la fourmi ne fait pas partie d'une société, elle est la société qu’elle soit cataloguée par nous les hommes d’ouvrière ou de reine.
Toujours d’après Koralie, le concept d'égoïsme lui est totalement inconnu car elle considère que la survie de sa colonie est capitale. Sa vie serait guidée par ce principe.
S’il te plait Théo, surtout pas d’analogie avec une certaine époque affublée de concepts anciens (Socialisme, Communisme, Bolchevisme, Kolkhozes, sovkhozes, et que sais-je encore). La société de la fourmi va au-delà, elle serait plus qu’une œuvre achevée de Dieu. N’essaie même pas de la comparer à la notre, car nous sommes encore au stade organisationnel primitif.
Théo, la fourmi est à l’abri des scandales du genre « Pétrotim », à l’abri du spectre d’un second mandat, à l’abri de la calomnie, à l’abri de l’injure, à l’abri de l’injustice, à l’abri du vol, à l’abri des détournements de fonds, à l’abri d’une refonte de fichier électoral,………………. Toutes ces manipulations et maux dont souffre ton pays.
Mieux encore, dans la fourmilière personne ne parlera d’éthique car l’emploi de ce mot dépend des conditions normales d’origine et de situation sociale. Akan, le fou du village me disait un jour qu’il était convaincu que « la plupart des indigents ne croient pas en Dieu, même s’ils le chantent à longueur de journée, et je trouve juste cette attitude » Tellement pertinent que j’ai remis en question mon état mental : Qui de nous deux est réellement fou ?
Ne t’avise surtout pas à développer ce genre de concept chez les pauvres gens qui n’ont pas d’épargne, et qui chaque matin, sortent de leur lougan à la recherche d’un minimum pour leurs familles, essayant ainsi de lutter contre la faim et le temps. Oui Théo, la décence humaine commence par la compréhension des conditions sociales de l’autre.
Aujourd’hui je suis l’un des plus fidèles adeptes de Koralie. Elle a raison sur tout car la fourmi n’a pas de logiciel pour dérouler son programme. Contrairement à ton pays qui en aurait un, mais visiblement désuet car trop instable. Ce qui expliquerait l’échec de la migration du programme « Yonnu Yokkuté 2012 » vers « Le Sénégal Emergent2014 » avec des mises à jours inopportunes telles que l’Acte 3 de la décentralisation, la réduction du mandat présidentiel, le référendum en 15 points, les bourses familiales, le plan sésame etc.
L’on me disait vendredi dernier en salle d’attente pour les séances de chimio, que les experts de l’ADIE auraient diagnostiqué une mauvaise programmation des programmes MS-DOS (« REVA », GOANA, SNDES, PNIA, LOASP, PNIR etc ….)
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
Assuluken
Flashinfos.net