MOCTAR SOURANG, PRÉSIDENT DE L’UNP : «La confrontation est inévitable car le pouvoir actuel n’a pas le sens du dialogue, du consensus et de l’élégance républicaine»

Mardi 30 Aout 2016


«Macky Sall est allergique aux critiques, il est devenu le roi, le maître absolu», «Le pouvoir veut éliminer les électeurs hésitants qui déterminent l’issue du scrutin», «Nous proposons que la Cena gère le fichier et la carte électorale avec l’assistance technique de l’Ansd». Ces propos sont du Président de l’Union nationale patriotique (Unp), Moctar Sourang.
Dans ce entretien, il se prononce sur les sujets brûlants de l’heure. Soutenant, entre autres, que la révocation de Sonko est un recul démocratique.


Que pensez-vous de la révocation d’Ousmane Sonko de la Fonction Publique? 

La radiation d’Ousmane Sonko de la Fonction publique est un recul démocratique. Un retour au parti-Etat comme du temps de l’Ups. Depuis la fin du  monopartisme des années 70, aucun fonctionnaire n’a été radié pour avoir exprimé ses opinions politiques ou syndicales. Le régime actuel se trompe d’époque. 

Cette décision  est grave car cela voudrait dire que le médecin ou l’infirmier fonctionnaires  ne doivent pas  critiquer la  politique sanitaire, l’enseignant du public aussi a une obligation de réserve et doit se garder de critiquer la gestion de l’école. C’est la fonction de Sonko en tant qu’inspecteur des impôts qui est visée et non sa position dans l’institution qui lui aurait permis d’accéder à des secrets ou informations sensibles. 

Que les fonctionnaires se le tiennent pour dit,  ils doivent  être du côté du pouvoir ou se taire car  le parti, le pouvoir politique, c’est l’Etat. Aujourd’hui, la quasi-totalité  des directeurs de sociétés à caractère  technique de l’Administration sont de  l’Apr. Tout semble indiquer que le Président Macky Sall n’aime pas que les gens s’opposent à lui et à son pouvoir ou lui tiennent tête, il est allergique aux critiques d’où qu’elles viennent. Il est devenu le Roi, le Maître Absolu.

Vous avez représenté une partie de l’opposition lors de la revue du code électoral. Un consensus n’a pas été trouvé pourquoi? 

Le Parti au pouvoir n’était pas venu pour  trouver un consensus avec l’opposition mais pour avoir la caution de l’opposition sur la refonte du fichier qui leur permettra d’avoir un fichier taillé sur mesure. Dès l’ouverture de la commission technique sur la revue du code électoral, avant même que ce point ne soit discuté, le gouvernement a transmis le projet de loi sur la refonte du fichier à l’Assemblée  puis l’a retiré suite à la suspension de la participation de l’opposition aux travaux. 
  
«Le pouvoir veut éliminer les électeurs hésitants qui déterminent l’issue du scrutin» 
  
Le dernier jour des travaux de la commission, avant même que le document de synthèse ne soit transmis au Président de la République pour arbitrage , le même projet de loi a été soumis à nouveau à l’Assemblée nationale sans tenir compte des rejets de l’opposition sur la manière dont le pouvoir comptait faire la refonte. Il a fallu 10 ans pour avoir près de 5 millions d’inscrits. Il est clair qu’en six mois, nous aurons un faible taux d’inscrit qui va être justifié par ce qu’ils appellent le stock mort. 

 Le pouvoir veux éliminer les électeurs hésitants mais qui déterminent l’issue du vote. Faire des prochaines élections une affaire de militants politiques et de sympathisants, tel est l’objectif du pouvoir. Nous avons proposé que si l’on atteint pas dans le nouveau fichier comme nombre d’inscrits la moyenne des suffrages exprimés des trois dernières élections présidentielles, que l’on organise les prochaines élections législatives sur la base de l’ancien fichier audité. 

Les autres points de désaccords concernant le mode de scrutin aux législatives, le bulletin unique était défendu par le pouvoir actuel hier quand ils étaient dans l’opposition. Tout laisse croire que les positions varient suivant qu’on est dans le pouvoir ou dans l’opposition. Il est évident que le pouvoir actuel est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir et éliminer tous les concurrents sérieux en faisant le vide autour de lui. 

Y a-t-il des chances pour s’entendre sur la dizaine de points de désaccords? 

Je ne pense pas. La commission technique s’est tenue au lendemain de l’appel au dialogue qui a vu la participation de toute la classe politique. Le Président de la République, s’il voulait véritablement s’entendre avec son opposition, aurait pu discuter directement avec les dirigeants des partis pour trouver des consensus avec eux. 

C’est triste de le dire, mais le président Macky Sall, contrairement à ses prédécesseurs, n’a rien apporté de nouveau quant à l’approfondissement de la démocratie sur des questions majeures agitées depuis des années : le mode de scrutin aux législatives qui ne favorise pas une bonne représentativité de l’opposition à l’assemblée nationale. 
  
«Macky Sall n’a rien apporté à l’approfondissement de la démocratie» 
  
Figurez-vous qu’avec 53% des suffrages exprimées lors des dernières législatives de 2012,  le pouvoir actuel a obtenu près de 80% des sièges de députés. L’opposition n’a plus de groupe parlementaire. Le bulletin unique qui est pratiqué partout dans la sous-région permet de lutter contre l’achat des consciences n’est pas accepté par les tenants de l’actuel pouvoir 

La réalité est que l’actuel Président, né pourtant après l’indépendance et sur qui nous avions placé beaucoup d’espoirs, s’est révélé être un homme ayant pris goût au pouvoir et prêt à tout pour se maintenir, même au prix du  reniement de ses convictions d’hier. 

Si le pouvoir et l’opposition campent sur leurs positions respectives, que va-t-il se passer ? 

Il est clair que l’opposition va se radicaliser et s’unir autour de l’essentiel. Ce qui n’était pas possible avant car il était inimaginable que l’opposition puisse s’entendre surtout qu’une bonne partie avait combattu le pds et ses alliés aux côtés des tenants de l’actuel pouvoir. Aujourd’hui, il y a une  dictature rampante  qu’il faut freiner. 
  
«La confrontation est inévitable car le pouvoir actuel n’a pas le sens du dialogue, du consensus et de l’élégance républicaine» 
  
 La ruse,  le dénigrement et la force sont leurs armes. Des opposants prêts à tout pour changer le régime parce que humiliés, radiés, dépouillés de leurs biens et de leur droit, déçus par les politiques mises en œuvre et la gouvernance. 

On parle d’au moins  300 000 «morts» qui existeraient dans le fichier électoral. Confirmez-vous cette information? 

Seul un audit du fichier permettra de dire avec exactitude le nombre d’électeur qui figurent dans le fichier et qui n’auraient pas dû y être. S’il y a des morts dans le fichier, c’est la faute à qui ? 
 Il appartient à l’Administration de faire les mises à jour en radiant les morts et ceux qui sont condamnés. Notre position est que le ministère de l’Intérieur doit continuer à gérer l’organisation matérielle des élections. 

«Nous proposons que la Cena gère le fichier et la  carte électorale avec l’assistance technique de l’Ansd» 

 Mais la gestion du fichier, comme dans toutes les grandes démocraties, doit être confiée à un organisme indépendant et techniquement outillé. Nous  proposons que la Commission électorale nationale autonome (Cena) gère le fichier et la carte électorale avec comme bras technique l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Asnd) qui fait le recensement de toute la population. 

Que vous inspire toute l’agitation notée autour du débat sur la double nationalité? 

C’était de la pure diversion, comme il en est de même avec la libération de Karim Wade,  les affaires Sonko et Nafy Ngom Keita. Le pouvoir dans notre pays a souvent l’initiative du débat politique ; souvent  des sujets sont agités  pour faire oublier d’autres. 

La question sur la double nationalité n’a même pas été discutée au niveau de la commission technique de revue du code électorale. Elle est venue comme un cheveux dans la soupe et pendant des semaines, le sujet  a été agité et tout le monde a fait le jeu du pouvoir. 

Aujourd’hui la classe politique n’est-elle pas en train de réunir les conditions du chaos pour le pays ? 

Ce n’est pas la classe politique mais plutôt le pouvoir qui est en train de jeter de l’huile sur le feu. La stabilité de notre pays est tellement fragile qu’il suffit d’une panne d’électricité pendant des jours ou d’eau par exemple  pour que le pays bascule dans la violence. 

Tous les ingrédients sont réunis, il suffit de peu de choses pour que ça explose. Réduire le jeu politique aux simples partis politiques est l’erreur récurrente que commettent nos gouvernants. 
Les conditions de vie et d’existence de notre jeunesse, des femmes des villes et des campagnes n’ont pas changé. Bien au contraire, elles se sont empirées et  c’est une poudrière entre les mains du pouvoir. 
  
Votre parti, l’Union nationale patriotique (Unp), va-t-elle participer à l’élection du Hcct? 

Nous avons donné comme consigne aux conseillers de l’Unp de soutenir partout les listes de l’opposition. Nous sommes déçus  par l’achat des consciences en cours. 

Nos conseillers nous ont fait savoir que le pouvoir distribue de l’argent aux conseillers pour bénéficier de leur vote lors des  élections et promet d’en donner davantage à ceux qui auront donné la garantie d’avoir voté pour eux. 

Nous disons à tous les  conseillers de l’opposition de jouer le jeu et de tout faire pour avoir les preuves matérielles avant et après les élections pour pouvoir porter plainte. 
  
 
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Le Redacteur