RENE CAPAIN BASSENE, OBSERVATEUR DU CONFLIT CASAMANCAIS : «S’allier avec les terroristes, c’est pour le Mfdc, accepter d’être phagocyté et donc de disparaître»

Jeudi 14 Avril 2016

Face à la menace terroriste dans la sous-région, certains acteurs du processus de paix en Casamance pensent que le Sud du pays peut être une porte d’entrée de ce fléau, via le Mfdc. Une thèse que bat en brèche le journaliste-écrivain René Capain Bassène, observateur du conflit casamançais. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, M. Bassène soutient dans Flashinfos.net qu’en aucun cas, le mouvement irrédentiste ne va s'allier aux groupes terroristes.


Beaucoup d’acteurs du processus de paix dans la partie méridionale du pays pensent qu’il faut vite régler le problème casamançais afin d’éviter que cette zone du  pays ne devienne un terreau fertile pour le terrorisme. Vous en dites quoi en tant qu’observateur averti de ce conflit ?
Je ne connais pas ces acteurs dont vous avez évoqué leur point de vue, mais je les respecte beaucoup, même si je ne partage pas leurs allégations relatives à une probable possibilité de connexion entre les terroristes et les combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance. Je crois que ceux qui soutiennent une telle éventualité ne maîtrisent pas assez bien les réalités sociales, culturelles et cultuelles de la Casamance, et qu’ils méconnaissent, par ailleurs,  la philosophie et la mentalité du Mfdc et de Attika, sa branche combattante, en particulier. Ce n’est pas parce que la Casamance est en proie à un conflit armé, qu’elle peut être automatiquement considérée comme une zone fertile au terrorisme.
 
Pouvez-vous être plus explicite ?
Je le dis pour les raisons suivantes. Sur la nature du conflit, le conflit casamançais a un soubassement purement politique. Une partie de la population a pris les armes pour réclamer l’indépendance de la Casamance. Ce n’est donc pas un conflit à fondement religieux. En termes plus précis, le Mfdc se bat pour l’indépendance de la Casamance et non pour instaurer ni imposer une quelconque idéologie religieuse. Sur le plan local, en Casamance, il n’y est pas pratiqué un islam et un christianisme extrémiste, d’une part, et de l’autre le Mfdc, surtout en son aile combattante, qui est composé d’éléments de toutes religions confondues. Aussi, la Casamance est l’une des rares parties du pays où existe une très grande complicité, une bonne harmonie et une solide cohésion sociale, entre musulmans, chrétiens et adeptes de la religion traditionnelle. Pour exemple, c’est en Casamance où sont enterrés musulmans, chrétiens et pratiquants de la religion traditionnelle au niveau des cimetières de  Santhiaba et de Kandialang dans la commune de Ziguinchor. Les populations casamançaises, malgré leur adhésion à l’islam et au christianisme, accordent encore du crédit à certains aspects de la religion traditionnelle. C’est d’ailleurs par respect à ces valeurs traditionnelles que les rebelles casamançais ne peuvent pas commettre certaines atrocités sur les populations civiles, comme c’est le cas avec les terroristes. La philosophie des terroristes ne peut être partagée par les combattants : verser du sang et tuer les populations ou mourir au nom d’une quelconque religion n’a jamais été de la culture et de la mentalité des Casamançais. Ceux là qui savent de quoi je parle pourront en témoigner. Sur le plan international, la Casamance n’est pas comparable au Mali, car elle ne présente pas les mêmes réalités géographiques, ethniques et sociologiques. Les pays limitrophes que sont la Guinée-Bissau et la Gambie sont des États où est pratiqué un islam modéré et dont les autorités, à l’instar du notre pays, ont pris des mesures idoines pour se protéger contre tout acte terroriste à l’encontre de leurs populations. Sur le plan stratégique, les terroristes ne peuvent pas cohabiter avec les combattants. C’est deux groupes qui  n’ont aucun point de convergence et totalement différents à tous les niveaux : philosophie, objectif, stratégie de lutte. Entrer en contact avec les terroristes signifierait pour le Mfdc la fin de sa lutte pour l’indépendance, et signifierait également, faire la guerre contre des populations pour lesquelles le mouvement prétend défendre les causes et les intérêts. Car le terroriste ne fait aucune distinction dans sa planification. S’allier avec les terroristes, c’est pour le Mfdc accepter d’être phagocyté et donc de disparaître de la pire des manières. Voilà pourquoi, sur la base de la toute petite connaissance que j’ai de ce conflit,  je soutiens que, jamais, les combattants ne s’allieront aux terroristes.
 
Autre chose M. Bassene, des informations circulent, selon lesquelles, l’aile combattante du Mfdc, dans son entièreté, est dans un processus de réunification très avancé?
Je confirme qu’il est existe un processus de réunification déclenché depuis mai 2015, non par toutes les factions combattantes, mais par  certaines d’entre elles. Ça se joue entre les factions de Diakaye, Kassolol et Aquincthia ; celle de Djilanfari, dirigée par Salif Sadio, n’est pas concernée. Il y a certes des avancées, mais pas au niveau où semble le situer vos sources. C’est tout ce que je peux dire à ce  niveau.
 
Y a-t-il la main des acteurs de la paix dans cette tentative d’unification d’une partie du maquis ?
Ce que je sais, c'est que les combattants ont écarté tout le monde dans ce processus de réunification. C’est le fruit d’une prise de conscience née de la volonté, selon leurs dires, de pouvoir parler d’une seule voix, en vue des négociations avec  les autorités sénégalaises. Dans un premier temps, ils ont exclu tout le monde. Même l’aile politique interne et externe du mouvement.  Ils exercent  une sorte de lavage de linge sale en famille ; des retrouvailles inter et intra combattants, si je peux m’exprimer ainsi. Leurs rencontres se tiennent dans le maquis, à travers un comité qu’ils ont mis en place. Ils se réunissent avec leurs propres moyens et ne rendent compte à aucun "civil" pour utiliser leur jargon. Ce serait surprenant, même si ce n’est pas impossible qu’il y ait la main d’un acteurs de la paix derrière ce processus. Je crains fort que certains acteurs, informés de ce processus,  tentent de manipuler l’opinion en essayant de faire croire qu’ils y sont pour quelque chose.
 
Réalisé par Idrissa SANE (Flashinfos.net)
 

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