Malgré un chiffre d’affaires en chute libre, depuis 2013, La Poste présente une grande capacité financière. L’explication de ce paradoxe est à chercher dans les relations floues entre l’entreprise et le Trésor public.
DOCUMENT – "En décembre 2016, lors de l’examen du projet de budget du Ministère des Postes et des Télécommunications pour l’année 2017, à l’Assemblée nationale, le Ministre du Budget, Birima Mangara, affirma que La Poste était «redevable» à l’Etat de 130 milliards de francs CFA. Toujours à cette même Assemblée, un an auparavant, le Ministre des Postes, Yaya Abdoul Kane, indiquait que cette dette était d’environ 100 milliards. C’est dire que la dette de La Poste à l’égard de l’Etat avait augmenté de 30 milliards rien qu’au cours de l’année 2016. Cette analyse est confortée par l’affirmation de la Direction de la Prévision et des Etudes Economique, en novembre 2016 : «Depuis le début de l'année 2016, le trésor public a compensé des chèques CCP pour 86, 24 Milliards contre 63,183 milliards de remboursements obtenus, soit 23,057 milliards de tirage sur la trésorerie courante de l'année.»
Entre 2013 et fin 2016, pas moins de 60 milliards du Trésor public ont été consommés par La Poste, sans aucune politique étatique officiellement définie qui sous-tende ce phénomène. Le lundi 05 décembre 2016, dans le communiqué sanctionnant la 3ème revue de l’Instrument de Soutien à la Politique Economique (ISPE) entre le Sénégal et le FMI, la Société Nationale La Poste a été évoquée. Il y est mentionné : «...Les opérations du Trésor, en proie à des difficultés dues à des arriérés de longue date et aux problèmes financiers de La Poste.» Cette «situation» est soulignée à la rubrique des freins internes à la croissance du pays. En d’autres termes, les relations entre La Poste et le Trésor, caractérisées par une assistance financière déguisée, non officielle et pas du tout maîtrisée, constitue aujourd’hui un des facteurs bloquants du développement de notre pays.
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Si les finances d’une entreprise peuvent être étroitement assimilées à sa Trésorerie, alors La Poste, au moment de cette revue et de ce communiqué, n’avait aucun problème financier : les avoirs des tiers sont remboursés à la demande près sans délai ; les salaires sont payés avant le 25 du mois ; aucune tension particulière de Trésorerie dans les agences et bureaux de poste n’est à signaler ; les délais de paiement des fournisseurs sont connus pour être les plus réduits à Dakar… Les employés qui ont entendu le communiqué de ce bailleur de fonds (le FMI) se sont étonnés, car des difficultés financières n’étaient point ressenties, au contraire. Seulement, la provenance des fonds qui servent à faire face à toutes ces charges est à chercher. Le chiffre d’affaires de l’entreprise, qui est constamment en chute depuis 2013, ne peut expliquer cette capacité financière extraordinaire et insoupçonnée de bailleurs de fonds traditionnels comme le FMI.
Pour mieux comprendre cette situation de surliquidité, il faudra bien interroger les relations de La Poste avec le Trésor public.
A/ La compensation : le mécanisme permettant le détournement de fonds public
La compensation bancaire est un mécanisme mis en œuvre par les banques et la BCEAO afin de compenser entre elles les créances et dettes qu'elles détiennent les unes sur les autres. Toutes les banques commerciales de la place et La Poste se retrouvent tous les jours sur une plateforme électronique, gérée par la BCEAO, pour déterminer le solde de leurs positions par rapport à chacune d’entre-elles. Au bout du compte, celles débitrices prélèvent de leur compte à la BCEAO pour compenser l’institution créditrice.
Chaque banque possède un compte logé à la Banque Centrale. La Poste, par contre, n’y dispose pas de compte. Seul le Trésor public, du fait en partie du principe de l’unicité de caisse de l’Etat, y détient un compte et toutes les opérations concernant les entités publiques y sont effectuées. Les montants des chèques tirés sur La Poste et présentés par les banques sont directement portés au débit du compte du Trésorier général logé à la BCEAO. Une convention a alors été signée, le 05 septembre 1996, entre l’État et le Groupe SN La Poste pour définir le cadre d’un éventuel recouvrement. Ainsi, à l’issue de la compensation entre banques, si La Poste doit de l’argent à une ou des banques, c’est le compte du Trésor qui est débité pour règlement. Charge à La Poste après d’alimenter le compte du Trésor logé aux Chèques Postaux du même montant. Ce qu’elle ne fait pas ou le fait en partie. C’est cet argent encaissé et retenu illégalement qui explique la surliquidité de La Poste depuis 2013. Cet argent s’élève à des dizaines de milliards par an depuis lors et constitue ce manque à gagner pour les Finances publiques dénoncé par le FMI.
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Pour leur commande de pétrole auprès des majors du carburant (Shell, Total…), les gérants de stations-service, qui sont dans les zones où les banques ne sont pas implantées, versent des centaines de millions par jour dans les comptes des entreprises pétrolières logés à La Poste. Ces opérations ne servent qu’à faire transférer les montants des commandes effectuées dans les coins reculés. Ces énormes sommes font l’objet de demande de virement de la part des majors le lendemain vers leurs comptes dans les banques commerciales de la place. Alors, au moment de la compense dans l’après-midi, les banques commerciales réclament à La Poste ces sommes et le compte du Trésor à la Banque Centrale est débité du montant au profit de la banque commerciale. Seulement, La Poste qui avait encaissé l’argent en question, le conserve et ne le reverse pas au Trésor qui en a assuré réellement le paiement du transfert.
Illustration : Le gérant d’une station d’essence à Kaffrine verse, à La Poste, le 15 avril, la somme de 75 millions de FCFA sur le compte de Total Sénégal, pour une commande d’une quantité déterminée de gasoil. Il faxe son reçu de versement avec un bon de commande à la direction de Total Sénégal. Cette dernière, dès le lendemain, c'est-à-dire le 16 avril, donne à La Poste l’ordre de virer cette somme à son compte logé à la SGBS. A la compense, La Poste reconnaît devoir 75 millions à la SGBS et la somme est retirée du compte du Trésor à la Banque Centrale pour alimenter celui de la SGBS. Charge maintenant au Trésor public de recouvrer ces 75 millions auprès de La Poste conformément à la convention suscitée. En réalité, La Poste lui donne 20 millions ou rien, la plupart du temps.
Ces types d’opération se passent quotidiennement et peuvent être recensés sur toute l’étendue du territoire national. Il est donc aisé de deviner l’ampleur des montants en jeu." (À suivre)
Auteur: seneweb news