Madames, Mes demoiselles, Messieurs.
Je reprendrai textuellement le Grand poète Camerounais Anne Cillon Perri :
« Je vous remercie du fond du cœur d’être venus. Je dois vous le dire non seulement pour m’acquitter d’un agréable tribut de gratitude, mais aussi parce que je suis à présent convaincu que « sur les rues de ma mémoire », je ne serai plus jamais seul. Vous serez toujours au bout du chemin, le public qui m’attend avec ses angoisses et ses espérances. Votre présence massive dans cette salle me rend à l’évidence que j’ai eu raison de ne pas céder au désespoir du silence. Il me fallait absolument sortir de ma réserve pour hurler ce cri du cœur que j’aurais vraiment voulu exemplaire, bien que je ne sache pas si j’y suis parvenu. J’ai posé dans ce livre des pierres d’attente. Certains y trouveront ce que j’y ai mis, d’autres, ce qu’ils redoutent d’y trouver et quelques uns ce qu’ils y apporteront. » Fin de citation.
Si vous êtes si nombreux dans cette salle, ce n’est pas parce que je jouis d’une certaine notoriété, mais plutôt, parce que vous et vous seuls avez le crédit mobilisateur qui fait l’effet domino ce soir.
Ce qui me rend heureux et anxieux, aujourd’hui c’est la présence massive des jeunes.
Si la jeunesse est là ce soir, c’est certainement parce qu’elle a des Espérances, des Interrogations, des Attentes et certainement des Préoccupations en rapport avec tout ce qui se dit de la Casamance, et pour la majorité depuis sa naissance. Elle est judicieusement curieuse parce qu’elle voudrait tout savoir, elle est judicieusement curieuse à cause de l’omerta qui a toujours prévalu et prévaut encore aujourd’hui lorsqu’il s’agit de la question casamançaise. Je sens que malheureusement je vais la décevoir car la guerre sénégalo-sénégalaise est éminemment complexe, éminemment chargée, éminemment sournoise, éminemment discrète et paradoxalement violente.
Elle est là, cette jeunesse, certainement dans le cadre d’un processus d’évaluation qui lui permettra de décider si cette Casamance tant chantée par ses parents vaille vraiment la peine d’être considérée comme faisant partie de sa vie.
Cette jeunesse ne comprend certainement pas pourquoi, aurait-il fallu plus de trente à notre pays, pour pacifier juste une région.
Oui notre jeunesse ne comprend certainement pas pourquoi, L’Etat comme Le MFDC et chacun de son coté et de manière disparate signe des M.O.U (mémorandum of understanding) avec des partenaires locaux, outre atlantiques, sans que le peuple ne sache si c’est pour son bien ou son mal.
Cette jeunesse constate simplement que les initiatives individuelles, institutionnelles, et diplomatiques pour cette Paix pullulent, de la plus téméraire à la plus saugrenue sans véritablement savoir si le dossier casamançais avance ou recule.
Oui notre jeunesse a raison de se poser deux questions simples et pertinentes :
Pourquoi ? Pourquoi cette guerre ????
J’aurais bien aimé ne pas la décevoir (d’où mon anxiété). Mais Je ne peux pas avoir la prétention de faire un cours magistral encore moins un exposé historique. Je souhaite simplement porter un témoignage. Témoigner en tant qu’ancien élève du lycée Djignabo dans les années 1970, témoigner en tant qu’ancien aviateur militaire de 1984 aux années 2000, témoigner en tant qu’opérateur économique de 2003 à nos jours, et enfin témoigner, en tant qu’élu au Conseil Départemental de Ziguinchor en Mai 2014. Simplement !!! Beaucoup de choses m’échappent. Je compte sur les différentes personnalités ici présentes pour compléter, amender et même censurer tout ou une partie du récit. Ce n’est que comme cela que la dialectique scientifique de ce conflit jaillira.
Mais j’ajouterai et insisterai que pour comprendre ce conflit, il convient de relativiser cette théorie conspirationniste très présente dans les discussions entre casamançais. Je n’ai pas le droit d’affirmer qu’Il y a eu complot. Non !! Cependant, s’il devait y avoir un complot, il serait plus isolé qu’une volonté affirmée d’un gouvernement de vouloir avilir une quelconque entité nationale.
« Fiju di terra (le Fils du terroir), la crise casamançaise racontée à mes enfants » est tout au plus un témoignage, mon témoignage. J’ai volontairement choisi ce patronyme pour sa connotation équivoque et quelque fois péjorative pour les casamançais eux-mêmes, car dépendant du bord d’où l’on est originaire dans cette même Casamance. Pour certains « Fiju di Terra » traduit la fierté d’être un Ziguinchorois homozygote (Comme mon oncle Georges LOPEZ ici présent), pour d’autres, cette locution caricature le citadin déraciné, acculturé. Moi je le définis plutôt comme étant le phénotype de l’enracinement et de l’ouverture que je voudrais pour ma Casamance. C’est pourquoi je le revendique.
Roland Dumas disait que le célèbre discours de François Mitterrand du 20 Juin 1990 (16e conférence des chefs d’État d’Afrique et de France : Discours de la Baule », se résumait ainsi :
« Qu’Il ne saurait y avoir de développement sans démocratie et qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans développement »
Ce pertinent résumé, du discours qui rappelons-le avait été écrit par Erik Orsenna, me semble quelque peu caricatural car occultant des aspects fondamentaux qui sous-tendent tout projet de construction d’une nation : la Paix, et la volonté du peuple. Oui on ne pourrait pas se projeter dans une aventure démocratique, quand on note que :
- la volonté populaire est confisquée,
- l’expression personnelle d’un ressenti même individuel est galvaudée,
- la loi des lobbies est plus forte que celle de la République,
- la justice est celle du riche ou des lobbys.
Tout logiquement donc, le peuple de Casamance dans sa plus grande diversité, dans sa plus grande pluralité, ne devrait pas être en reste dans cette aspiration à la justice et à la Paix. Ce peuple, Mesdames, Messieurs doit refuser la caricature qui colle à la région, d’entité séditieuse, séparatiste, fermée sur elle-même. Ce peuple cosmopolite, peut être même le plus cosmopolite du Sénégal, doit exiger aujourd’hui encore plus qu’hier, ne serait-ce que pour sa survie que l’on lui reconnaisse et qu’on lui rende ses attributs de peuple accueillant, hospitalier, et tolérant. Ce peuple mérite qu’un débat franc, honnête et sincère soit ouvert pour lui et avec lui. Il sait d’ores et déjà que dans cette attente d’expression de franchise, d’honnêteté, ou de sincérité, il y aura du bon du moins bon, et malheureusement beaucoup de mauvais car des actes ont été posés sur la base de la fourberie, de la tromperie, de l’arnaque et bien des fois, du crime.
Et les Casamançais doivent intégrer de Re-souffrir, d’entendre de révoltantes révélations, des mensonges d’Etat, des mensonges de ses fils, enfouis dans les méandres du business du sang s’ils veulent arriver au dépassement pour donner l’absolution à tous ceux qui parmi nous, ont péché par intérêt, par nécessité, par omission, et à nous tous, par immobilisme. Cette souffrance n’égalera pas celle de la calomnie, de la délation, des viols de la dignité de nos parents, des assassinats, des détentions et des condamnations arbitraires que nous avons entendus parler ou connus par le passé.
Oui « les populations casamançaises ont certainement besoin d’être édifiées sur les voies de sortie de crise de son gouvernement mais, elles ont plus besoin aujourd’hui d’être écoutées » Car voilà plus de 30 ans qu’elles, écoutent, qu’elles subissent en silence, qu’elles acceptent sans broncher encore moins porter un jugement sur les messes basses du gouvernement et des dirigeants du MFDC. Au point que l’attitude de ce peuple soit perçue comme une norme, comme une loi, comme une exigence forcée. Au point où l’aspiration élémentaire à vivre en Paix et à mourir de maladie et non de projectiles lui soit confisquée, occultée.
Mes dames, Messieurs, il y a 25 ans, l’Etat et les dirigeants du MFDC nous avaient embarqués dans un sillage d’espoir et d’espérance avec Foundiougne 1. Ils reviendront par la suite, nous dire que ce ne fut qu’une étape de politesse entre belligérants et que dans les mois qui suivraient les bonnes résolutions seraient prises à Foundiougne 2. Ils l’ont proclamé urbi et orbi avec force détails qu’ils agissaient pour et au nom du peuple. Foundiougne 2 est toujours loin devant et se positionne aujourd’hui comme une chimère.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, n’est- il pas temps de délier les langues, de toutes ces victimes silencieuses de cette guerre sénégalaise ? N’est-il pas judicieux de permettre à ce peuple meurtri dans sa chair et sa dignité de crier à haute et intelligible voix sa rancœur, sa souffrance, sa déception ? N’est-il pas judicieux d’exorciser le mal casamançais en écoutant simplement le peuple ? Peut être qu’une thérapie de nation sur fond de justice sociale permettrait d’entrevoir un avenir serein pour cette partie Sud de notre beau Sénégal. Peut être qu’elle permettrait à tous d’accepter l’inacceptable ; qu’elle conduirait au pardon mutuel pour avoir péché par omission, par immobilisme et par intérêt. Car nous sommes tous concernés et autant victimes que coupables.
Notre culpabilité a conduit à la balkanisation de notre pays en micros secteurs. Certains sous la supervision institutionnelle, d’autres sous l’autorité des factions rivales du MFDC.
Oui Mesdames, Messieurs, Chez nous au Sénégal il y a des zones de NON DROIT.
Oui Mesdames, Messieurs, (et surtout nous qui sommes originaires de la région) nous faisons semblant, nous nous taisons face à des situations inacceptables alors que l’intelligence nationale devrait nous interpeller :
- Beaucoup de nos concitoyens qui sont coupés de leurs racines, de leurs origines.
- Beaucoup de villages sont dépeuplés, au profit d’une vie aussi misérable que précaire dans les villes.
- Beaucoup de familles rurales sont disloquées.
- Beaucoup de zones sont interdites à des légataires naturels qui impuissants, observent de loin, d’autres récolter les fruits de leur vergers, des intrus cultiver leurs rizières dans le silence et dans le désespoir au point de développer une haine contre un Etat qui ne peut les protéger et contre un MFDC spoliateur. Allez à Badem, allez à Bofa vous trouverez des infrastructures scolaires, des installations hospitalières à l’abandon. Des enfants ont quitté l’école juste parce leurs parents de propriétaires prospères, ils sont devenus des réfugiés pauvres et locataires à Ziguinchor.
Tous nous nous taisons ; nous détournons le regard. Ce mutisme national fait de nous des complices.
Une complicité justifiée me diront certains et à raison. Tous (moi y compris) :
- avons peur de la répression de la République lorsque que nous poussons l’outrecuidance d’aborder la question casamançaise.
- avons peur d’être dénoncés aux forces du MFDC
Merci encore à tous.
Xavier DIATTA