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Casamance: René Capain Bassène décortique point par point l’article du journaliste belge François Janne D’Othée

Samedi 25 Novembre 2017

Casamance: René Capain Bassène décortique point par point l’article du journaliste belge François Janne D’Othée

René Capain accepte de répondre aux questions du Journal du Pays sur ce qu’il pense de l’article de notre confrère belge:

  • Il ne maitrise pas la problématique du conflit en Casamance.
  • Son texte manque de rigueur, d’objectivité et de probité.
  • Certains de ses propos sont nocifs pour la dynamique de recherche de la paix en Casamance.

A la suite d’un article du journaliste belge François Janne d’Othée intitulé : « La région de Casamance au Sénégal, ou l’impossible rêve d’indépendance » publié le 26/10/17 par le journal « Vif/L’Express » ; certains acteurs ont réagis pour exprimer leur indignation ou condamner certaines de ces déclarations. En votre qualité d’observateur du conflit, avez-vous lu son article ?

Oui, je l’ai lu. Retenez que je prête une attention particulière à tout ce qui se rapporte au conflit en Casamance. Je me suis toujours donné la peine de rechercher, d’écouter et de lire tout ce qui a trait à cette crise dite casamançaise.

Si tel est le cas, quelle est donc votre analyse du contenu de l’article du journaliste François Janne d’Othée?

Rire. C’est juste que d’une part je me réjouisse de savoir que des journalistes étrangers commencent de plus en plus à s’intéresser à la problématique de la crise. En moins de six mois, des organes de presse étrangers tels que Jeune Afrique, RFI et France 24 ont publié des reportages et des articles sur ce conflit. Cela a contribué à un peu libéraliser les débats et à informer au niveau international qu’il existe bel et bien un conflit en cours en Casamance.

Mais d’autre part, je suis quelques fois déçu par le contenu de certaines publications parce que je les trouve soit superficielles, provocatrices, partielles ou même mensongères.

Revenant sur le contenu de l’article de d’Othée, je le trouve superficiel avec des informations à la fois caduques et provocatrices.

En clair qu’est-ce que vous lui reprochez exactement?

Bien, je reproche à Monsieur François Janne d’Othée son manque de rigueur, d’objectivité et de probité et je m’explique :

-son manque de rigueur s’est matérialisé à travers le titre de son article : « La région de Casamance au Sénégal, ou l’impossible rêve d’indépendance » .

D’abord dans le découpage administratif actuel, la Casamance n’est pas une région, c’est une dénomination qui désigne une entité comportant trois régions que sont Kolda, Sédhiou et Ziguinchor. Si ce n’est pas écrit à dessein dans un objectif de semer la confusion, ce sera donc un flagrant manque de rigueur de sa part de dire que la Casamance est une région, s’il avait un peu fouillé dans l’histoire, il serait informé que la Casamance a officiellement cessé d’être région depuis 1984 date de la création de la région de Kolda.

-Mais le pic demeure son manque d’objectivité qui réside dans le second volet de son titre : « …ou l’impossible rêve d’indépendance ».Je n’ai pas la prétention de lui apprendre le métier de journalisme, mais je veux juste lui rappeler ces notions d’école : « le journaliste doit oublier ses préjugés et ses opinions personnelles lorsqu’il traite de l’actualité surtout quand il traite un sujet conflictuel ».

Ce n’est pas à un journaliste de trancher, de réduire ou de comparer la revendication principal d’un mouvement à un rêve qui de surcroît serait impossible selon lui. Pour qui se prend t-il pour tenir de tels propos. A-t-il mesuré les conséquences de ses écrits sur la dynamique de recherche de paix ? S’il ne l’a pas fait j’espère que la réaction du président du cercle des intellectuels du MFDC lui ouvrira les yeux. Il s’est attiré les foudres du MFDC. Son titre est provocateur et destructif. C’est un genre de discours qui n’a plus sa place dans le contexte actuel de l’évolution de la crise en Casamance. Cette question du oui ou non de l’indépendance revendiquée par le MFDC dépasse largement ses compétences. C’est un sujet qui doit être débattu par les parties prenantes autour d’une table de négociation. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si après l’avoir lu, il est accusé par le MFDC d’être à la solde de l’Etat du Sénégal. Par un simple titre d’article, il a provoqué la colère du MFDC et a créé un sentiment de suspicion et de méfiance entre les parties en conflit tout en radicalisant les leaders du MFDC. Le rôle de monsieur François Janne d’Othée en sa qualité de journaliste devrait être d’informer les populations sur la base de faits et non d’apporter son jugement sur une crise dont il semble être encore trop loin de maitriser les enjeux. Son article est dénudé de toute rigueur professionnelle.

-En effet, monsieur d’Othée a écrit : « A sa naissance en 1947, le MFDC était une formation anticoloniale qui visait à affirmer l’existence politique de la Casamance (donnée par le Portugal à la France au XIXe siècle) et un meilleur accès aux ressources naturelles. L’agenda séparatiste ne s’est précisé que bien après l’indépendance, en 1960. Avec, comme figure emblématique, un prêtre : l’abbé Augustin Diamacoune Senghor. C’est lui qui prend la tête du combat face à un Sénégal qu’il accuse de vouloir coloniser le » grenier » casamançais ».

Quel résumé ! Monsieur Janne d’Othée a –t- il les preuves de ses allégations ? A-t-il en possession le document comportant les motivations de la création du MFDC en 1947 ainsi que les objectifs visés par ce mouvement ? Maitrise-t-il réellement ce qu’il a relaté ? Je précise au passage que selon l’histoire écrite la Casamance n’a pas été donnée par le Portugal à la France, elle a été échangée…ce n’était pas un cadeau du Portugal à la France.

–              Toujours sur la même lancée il écrit : «Le face-à-face s’envenime le 26 décembre 1982 : des manifestants retirent le drapeau sénégalais du palais du gouverneur et le remplacent par un drapeau blanc. Cette marche se termine dans le sang et marque le début de la lutte armée. L’abbé Senghor, lui, connaîtra plusieurs séjours en prison ».

Un petit rectificatif : c’est la marche du 18 décembre 1983 qui a été violemment réprimée et qui a engendré la naissance de Atika la branche armée du MFDC. Retournez à vos sources pour plus de clarification. Beaucoup ont tendance à situer la naissance du conflit armé à partir de la marche du 26 décembre 1982.

–              « Attaques, guet-apens, villages rasés, plus de 60 000 réfugiés : le conflit en Casamance a emporté son lot de victimes durant les années 1990. Il faudra attendre le 30 décembre 2004, sous la présidence d’Abdoulaye Wade, pour parvenir à un accord de paix »: Salif Sadio, indépendantiste pur et dur, qui rejette l’accord, est chassé de son repaire de Guinée-Bissau. Le conflit reprend. Augustin Senghor meurt en 2007, ce qui complique encore plus le processus de paix. En 2009, Ziguinchor, principale ville de Casamance, et ses alentours sont la proie de batailles rangées ».

C’est à ce niveau du texte que monsieur d’Othée a démontré qu’il ne maitrise pas son sujet : en vérité ce qui a été signé le 30 decembre2004 n’était pas un accord de paix définitif, il était question de poursuivre les négociations d’où la tenue de foudiougne1 en 2005.

–              Le comble est que D’Othée à oser écrire : « le MFDC, représenté par l’incontournable abbé Senghor, accepte de remettre ses armes tandis que le gouvernement offre l’amnistie et l’intégration des ex-rebelles ».

Si tel était le cas on ne reparlerait plus d’un conflit en Casamance. Est-ce que l’éminent dOthée peut nous dire quand est ce que la cérémonie de désarmement des combattants du MFDC a eu lieu ? Où étaient stockées les armes récupérées ? Peut –il nous confirmer que les mandats d’arrêt internationaux contre Salif Sadio et Mamadou Nkrumah Sane sont levés ?

–              Selon d’Othée « Cela ne durera guère. Salif Sadio, indépendantiste pur et dur, qui rejette l’accord, est chassé de son repaire de Guinée-Bissau. Le conflit reprend. Augustin Senghor meurt en 2007, ce qui complique encore plus le processus de paix ».

Le spécialiste d’Othée nous énumère ici une succession d’évènements qui n’ont aucun rapport historique les uns avec les autres. Le conflit qui a opposé Salif Sadio aux hommes de César a débuté en décembre 2000 soit quatre ans avant l’accord de 2004 pour se terminer en 2006 avec l’exode de Salif de Baraka mandioka à Djilanfany. Pendant cette période c’était la guerre intra combattants.

–              « En 2009, Ziguinchor, principale ville de Casamance, et ses alentours sont la proie de batailles rangées »

Entre qui et qui ? en 2009 c’était l’épisode de Kassana, avec des affrontements qui n’ont durés que quelques jours et qui opposaient les combattants du MFDC aux éléments des forces armées sénégalaises. Si c’est ce qu’il a dénommé batailles rangées, je le lui concède alors.

-« Quand l’actuel président Macky Sall arrive au pouvoir en 2012, il qualifie la recherche de la paix en Casamance de » priorité nationale «. Deux ans plus tard, un accord de cessez-le-feu est trouvé sous l’égide de la communauté catholique italienne Sant’Egidio. Depuis lors, les militaires sénégalais retenus comme prisonniers de guerre ont été libérés, et la trêve est respectée, si ce n’est quelques escarmouches » sans qu’on sache qui a fait quoi «, révèle une source impliquée dans la médiation ».

Informations livrées pèle mêle. La libération des militaires est antérieure à l’accord très éphémère de cesser le feu unilatérale décrété par Salif sadio. Les trois autres factions n’étaient pas concernées donc vouloir situer l’accalmie à partir de celui-ci c’est lourdement se tromper. Les raisons de cette trêve sont à rechercher ailleurs.

-« L’éviction en 2016 du président de la Gambie Yahya Jammeh, de la même ethnie diola que les dirigeants rebelles, a également facilité la sortie de crise. Au grand soulagement de la population locale, fatiguée par tant d’années de guerre ».

En quoi l’éviction de Yaya Jammet a-t-il facilité les choses ? Sommes-nous sortis de la crise ? Qu’est ce qui a été concrètement réglé et par ou grâce à qui ? Au niveau de la frontière gambienne ils y cohabitent trois factions, celle de César, de Fathomas et de Salif. Le seul qui est en discussion avec Sant Egidio c’est Salif, D’Othée semble dire que c’est parce que Yaya n’est plus au pouvoir que Salif est en train de négocier, qu’il se rappelle que c’est sous le règne de ce même Yaya Jammet que les otages militaires ont été libérés et que Salif a débuté son processus de négociations. Pour ces deux activités, Yaya jammet avait joué un rôle de facilitateur et non de blocage.

-« Reste un gros problème : la division de la branche armée, un problème qui remonte aux années 1990, quand la guerre est apparue comme une source de revenus. Les factions rebelles se battaient autour du commerce juteux de la noix de cajou et du cannabis »

Graves et fausses révélations. La division intra combattants est engendrée par un problème de leadership d’abord entre Sidy Badji et Léopold Sagna puis entre Salif Sadio et César Atoute Badiate. Aussi Janne d’Othée doit savoir que le conflit en Casamance est non seulement atypique, mais il est très dynamique. Nous avons dépassé l’époque où on disait que l’aile militaire du MFDC est divisée en de nombreuses factions. Il doit savoir en même temps que ces sources que trois sur quatre factions à savoir celle de Diakayes, de Kassolole et de Aquinthia ont franchi le cap de la réconciliation, ils sont à la phase de réflexion sur les perspectives et les orientations à donner au processus de négociations. Dire que Atika est divisé en plusieurs factions est un argument caduque.

« Tandis que les militaires faisaient main basse sur le trafic du bois ». Certes quelques chefs militaires ont eu à couper du bois pour se faire des meubles, mais c’est exagéré de dire qu’ils faisaient main basse sur le trafic du bois ».

C’est une accusation que d’Othée aurait du mal à justifier. Dans un autre pays, l’auteur d’une telle accusation f erait l’Object d’une plainte. Nier l’existence d‘un conflit armé, vouloir réduire les militaires sénégalais déployés en Casamance en des trafiquants de bois et les combattants MFDC en des exportateurs de cannabis c’est trop dire.

« L’intransigeant Salif Sadio, du front nord «, a fini par accepter la médiation de Sant’Egidio, au contraire de Caesar Badiate, du » front sud «. » Badiate continue d’exiger comme préalable l’unité du mouvement «, explique un médiateur sénégalais, qui avance la vieille stratégie : »

Que des contradictions dans son article : tantôt c’est à la suite d’un accord avec Sant egidio que les combattants ont déposé les armes, tantôt c’est seul Salif l’ « intransigeant » du front nord qui a accepté de négocier mais que César du front sud continue d’exiger comme préalable l’unité du mouvement. Est-ce que dans ce cas de figure ce ne serait finalement pas César l’ « intransigeant » ? Rire.

Salif n’est pas le chef du front nord. Il y cohabite avec d’autres chefs totalement indépendants de lui dont Fathomas et Paul Ouloukassine. Au sud César n’est pas le seul maitre à bord ; il y cohabite avec Compass Diatta, c’est des aspects que Janne d’Othée devrait connaitre avant de pondre son article.

» Si la négociation avance bien avec une des branches armées, l’autre suivra. » » Le danger n’est pas encore complètement écarté, estime le chercheur Amadou Ndiaye. Il reste des maquisards dans la forêt. Mais tous les ingrédients sont réunis pour qu’on parvienne à une solution »

Dans ce cas le conflit serait définitivement réglé ; le président Diouf a négocié avec Kamoughé Diatta, Abdoulaye Wade avec César Atoute Badiate cela n’a rien donné ; les autres n’étant pas impliqués n’ont jamais suivis et je ne crois pas qu’ils suivront les négociations menées avec Salif sous le régime de Maky Sall. Tout comme lui, sa source n’a pas une bonne maitrise de l’historique du conflit.

« Longtemps intransigeant sur l’unité du pays, l’Etat central avait réduit les revendications indépendantistes à de simples jacqueries portées par l’ethnie diola. Aujourd’hui, il insiste sur les projets lancés en faveur de la Casamance, notamment ce pont par-dessus le fleuve Gambie qui désenclavera la région et fera oublier les longues heures d’attente du ferry ».

D’Othée avance des arguments nocifs aux processus de recherche de la paix en faisant dire des choses très graves à l’Etat sénégalais. Jamais de toute l’histoire de ce vieux conflit, on a entendu une voix officielle qualifié la revendication indépendantiste à une simple jacquerie de l’ethnie diola. Un journaliste qui se respecte et qui respecte les autorités sénégalaises ne saurait avancer des propos aussi incendiers.

Je termine par dire que son article manque d’objectivité. Mais il ne pouvait qu’en être ainsi car ce journaliste a puisé son information « aux sources » et non « à la source ». Il ne s’est pas donné la peine de descendre sur le terrain pour effectuer un recoupement et s’est aventuré à produire un article sur une problématique qu’il est loin de maitriser. Il a été inspiré par le voyage en Catalogne de Monsieur Ousmane Tamba pour rédiger son article. Il aurait dû s’en limiter à ce fait, mais pour donner plus de vitalité à son texte, il s’est engouffré dans des aspects que ni lui encore moins ses sources ne maitrisent réellement. C’est cette prétention de vouloir impressionner ses lecteurs en les faisant découvrir qu’il aurait une parfaite maitrise de la problématique du conflit en Casamance qui l’a malheureusement perdu.

Réalisée Par Journal du Pays


Le Redacteur

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